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Sakakaka!
16 janvier 2011

Les films de jeux ne font pas bander mémé

Alors oui, il y a quelques adaptations de films en jeu qui valent le coup d’être jouées (c'est-à-dire qui ne sont pas unanimement reconnues comme étant médiocres, arrêter de croire que votre avis de gamer fait l’unanimité de par le monde) : King Kong, Arthur & les Minimoys, le premier Riddick (je ne cite pas le deuxième par ce que je n’y ai pas joué, je ne suis pas en train de ne pas appliquer ce que je viens d’énoncer petit sakakakophile folâtre), Rustin Parr, Kotor (quoique il s’agisse d’un cas un peu particulier), mais bon, BREF, il existe des films qui ont été transcrits en jeux corrects voire excellent pour certains (le premier Riddick était en cela remarquable : un FPS adapté d’un Vin Diesel porté de la console au PC qui s’est révélé être l’un des meilleurs de l’année, c’est dire). Et je n’ai pas joué à Avatar ni à Bee Movie parce que mes manches sentent le chocolat.

 

Maintenant, observons l’effet inverse. Du jeu… au film. Faisons les comptes. Il y a deux Mortal Kombat, un Doom, un Alone in the Dark, deux Tomb Raider, trois-quatre Resident Evil, un Silent Hill, un Tekken, King's Rising à venir (tiré de Dungeon Siege), un Super Mario, un Prince of Persia, Hitman, un Dead or Alive, King of Fighters, un Max Payne et une paire de Bloodrayne. Ah oui! Un Dragon Ball aussi :) Valà. Il y en a d'autres, mais je ne crois pas avoir oublié quoi que ce soit de fondamental, cela dit je ne parlerais pas des Donjons et Dragons car ce sont des adaptations de licences de JDR (mais elles sont merdiques quand même, ne vous inquiétez pas). Ca fait donc pas mal de daubes… euh ! … Adaptations, plus un cas que je garde sous le coude. Même s’il y a des polémiques du type est-ce un mauvais film/mauvaise adaptation, il y a un consensus assez général pour dire que ces films manquent globalement d’intérêt par eux-mêmes. Aucun d’eux n’est un grand film, ‘voyez ce que je veux dire. Pourtant, quelles adaptations ! Tous les jeux exploités n’ont pas été des monuments, mais tout de même ! Max Payne, Tomb Raider, Resident Evil, Mario, Silent Hill, Alone in the Dark, Prince of Persia, Doom, Mortal Kombat, excusez du peu !

 

Alors pourquoi? Pour reprendre un terme cher à Eric Viennot, je crois qu’il s’agit là d’une question de grammaire. Je m’explique. Lorsqu’un livre est traduit en film, on perd ou l’on gagne sur certains tableaux (sauf pour Madame Bovary : le film est aussi chiant que le livre) : le film n’a pas besoin de se perdre en description, mais il ne peut raconter de petites histoires liées à ces descriptions. Le livre ne peut décrire de scènes d’action ou de batailles trop longuement, mais il peut se plonger beaucoup plus profondément dans la psyché des personnages. Par exemple, lorsqu’on lit The Great Gatsby, on peut avoir l’impression que ce personnage est une illusion, une hallucination ou une invention du narrateur, chose qui ne transparaît absolument pas dans le film. Le jeu vidéo permet d’autres choses, en terme d’intensité de combats (Max Payne), de jubilation dans le carnage (cf Mortal Kombat), d’angoisse et de sentiment d’oppression beaucoup plus dilaté dans le temps et donc plus impalpable que dans un film et plus pregnant que dans un livre à cause du son et de l’image (Silent Hill, Alone in the Dark), ainsi que de choses plus couramment évoquées dans ce terme passe-partout, « l’immersion » : mille et une nuit pour le Prince of Persia que le film singe, ruines oubliées pour Tomb Raider.

 

Toutefois, ces films (sauf peut-être Super Mario Bros qui est un trip vraiment très à part, l’univers du film étant très éloigné du jeu vidéo) ont un point commun : quelque soit le jeu dont ils sont tirés, ce sont des films d’action. Pour Bloodrayne, Max Payne, Doom & Mortal Kombat, pourquoi pas ? Mais Silhent Hill, Prince of Persia, Tomb Raider & les autres ne sont pas que des jeux d’action. Voire pas du tout. Dans Silent Hill, la plupart des combats sont évitables, et c’est même préférable. Dans PoP, les combats font à peu près balance égale avec la plate-forme/exploration, etc. La force d’un Silent Hill tient dans son atmosphère, celle de PoP est magnifiée par son aura des mille & une nuit, Alone in the Dark a ses couleurs et son ambiance. Et surtout, aucun de ces jeux n’est fortement scénarisé (Attention, Silent Hill a un background de fou furieux et contient des personnages marquants, la mise en scène de Max Payne est très bien ficelée et caetera. Mais aucun de ces jeux ne contient de nombreux dialogues et compagnie, comme un Gothic ou un Soul Reaver).

 

Or, un film d’action contient de nombreux personnages, des gentils, des copains du gentil qui sont pas d’accord avec, un quota vagin, tout ça tout ça… Regardez Star Wars, c’est la production archétypale d’un scénario basique. Un héros, une fille*, un acolyte, un méchant. Insérez ensuite un lien entre héros et méchant, un triangle amoureux entre le héros et l’acolyte (ou le méchant), quelque chose de sombre dans les pensées du héros, et vous y êtes. Parfois des structures un peu plus complexes, la plus utilisée étant 12 + 1 ; Seya et les Chevaliers du Zodiaque, Jésus et les apôtres, Arthur et ses chevaliers, les douze vikings et l’arabe, mais où on retrouve toujours des figures archétypales. Eventuellement, des variantes parce que Ellen Ripley dans les cas de gens vs monstres avec second couteaux à massacrer, mais jamais avant le jeu vidéo (à part la BD conceptuelle, mais je m'égare) n’avait-on trouvé autant de héros qui agissaient seuls.

 

Un film a besoin de dialogues, de scènes entres les gens, il faut qu’on les voie manger, limite pisser pour s’y croire un minimum. Y compris dans un film d'action, ou une action resserrée dans le temps à un moment à un autre le personnage vaf faire entrer le spectateur dans son intimité en briquant son arme, renouant ses lacets ou en resserrant sa ceinture. Particulièrement criant dans le film français, qui du coup oublie aussi de raconter des choses. Observez, vous verrez.

 

Maintenant dans les jeux. Le héros est la plupart du temps seul dans les jeux portés en film. Est-ce que vous avez jamais vu le Prince avaler autre chose que de l’eau des fontaines ou des potions ? Ou un héros de Silent Hill manger quoi que soit ? Je me souviens d’une remarque dans Baldur’s Gate II dans un écran de chargement : « Votre héros n’a pas besoin de se nourrir, mais vous si ! Nous ne voulons pas vous perdre ! ». Et Gordon Freeman, il ne parle ni n’avale, pourtant l’identité du G-Man et son but réel sont un des mystères les plus touffus du jeu vidéo. En fait, l’immersion ne repose pas sur les mêmes moteurs, le contact et l’attachement aux personnages ne reposent pas sur les mêmes mécanismes. Exemple dans le contact entre les personnages : même dans PoP Sands of Time lorsqu’on se ballade avec Farrah, elle cherche d’autres passages pour elle-même ou on va aller à perpète en hauteur lui en ouvrir un. Les jeux (hors RPG) où l’on fonctionne à plusieurs (Arthur & les Minimoys, Primal, Demon Stone, Beyond Good and Evil) sans que le jeu soit d’emblée prévu pour la coop sont assez rares, ce qui limite d’autant les potentialités de dialogues. L’attachement à un personnage repose sur son charisme (incluant le chara-design) et ses actions, mais un jeu vidéo se reposera beaucoup moins sur les répliques que sur la gestuelle, l’apparence, le style dans les mouvements et les potentialités de gameplay, alors qu’un film insistera plus sur son contact avec autrui, les répliques et le jeu d’acteur. Exemple de jeu qui pourrait être adapté en film, Devil May Cry ; l’attachement à Dante passe par ses style de combat et son allure, pas par le jeu d’acteur inexistant, les histoires miévrasses et la traduction anglaise tout juste passable.

 

Un jeu scénarisé peut même se passer complètement de dialogues : prenez Braid, Schyzm ou Myst. D’ailleurs Oubliez Freeman et le Gâteau est un mensonge. Sans aller dans des cas aussi extrêmes, regardez Silent Hill. Je ne crois pas y avoir jamais vu de scène avec plus de trois personnages présents à la fois ; deux la plupart du temps, pour des échanges brefs, voire lapidaire. Ils sont quand même plus bavards que dans Shadow of the Colossus, mais c’est pas Planescape non plus. En fait, je crois que le grand défaut de ces films est d’avoir choisi des jeux qui fonctionnent en cinématique – gameplay – cinématique – gameplay - … et que le scénario n’avance jamais vraiment pendant les phases de jeu proprement dites, c'est-à-dire que le dialogue n’y est pas une dynamique de gameplay. Autrement dit, ces films ont repris les éléments de scénarios densifiés avec plus ou moins de bonheur pour correspondre à une narration filmique, ont repris quelques éléments de gameplay (bullet time, wall run, vue FPS, etc.) mais globalement il s’agit de transformer les dialogues d’un jeu en film ou d’en reprendre vaguement la trame ou le système de progression.

 

Cela n’implique pas de coller à un synopsis : le tryptique Resident Evil ne colle que très peu aux jeux, Silent Hill ne reprend pas un épisode de la série mais les mixe allègrement, Mortal Kombat n’a pas de scénario qui dépasse les miettes d’un ticket de métro, il a bien fallu broder. Mais ça c’est une responsabilité de scénariste : avoir voulu coller aux standards d’un film d’horreur en implémentant cette scène ridicule avec le Pyramid Head dans Silent Hill aux antipodes de l’esprit du jeu ou des péripéties complètement débiles dans Bloodrayne (du genre « comment s’infiltrer dans la forteresse du méchant ? Attaquons la grande porte à deux off course ! Quand on sera désarmés dans les cachots, on avisera » ; on croirait que la Comédie Française est passée par là), ou encore d’avoir pondu un tissu d’inepties de série Z pour Alone in the Dark. Toutefois, il y a des choses dont ils n’ont pas tenu compte, à cause justement des questions de grammaire dont je parlais plus haut, et une des plus invisibles pourrait être déterminante : la sauvegarde.

 

Un film, on se le fait d’une traite. La plupart des jeux, non (en tout cas, aucun de ceux-là). Cela implique qu’à un moment, on sauve, on arrête et on va faire les courses. Ils ne sont pas conçus pour être faits d’un bloc, et je crois que Silent Hill est le plus significatif à ce point de vue. En effet, une fois qu’on arrive en ville on n’en sort plus (The Room fait un peu bande à part, mais vu que l’appartement est fermé par des chaînes, ce n’est pas une exception), et surtout pas pour des breaks. La Silent Hill déserte est angoissante, la version… autre, est un cauchemar, alors que dans le film, pour casser cette ambiance et laisser le spectateur souffler, des scènes hors de la ville ont été insérées… et brisent littéralement l’ambiance du film. Ces passages jouent le rôle de la sauvegarde, de extinction de la console jusqu’à la prochaine fois où l’on s’assoit pad en main pour trembler comme une feuille. Mais ces passages ne font pas partie du jeu, cette manière de souffler est un mécanisme exogène, alors qu’il est directement inséré dans le film, ce qui est particulièrement nuisible ; presque autant que ces passages qui montrent clairement des choses que les jeux n’ont jamais que suggéré ou montré du bout des lèvres.

 

Ensuite, la plupart des jeux comporte quelques puzzles, si basiques soient-ils. Y’en a même dans Devil May Cry & God of War, pensez. Dans Prince of Persia, il y a parfois des trucs assez dingues à faire pour parvenir à ouvrir une connerie de porte, à se demander à quoi les architectes pensaient quand ils ont conçu leur bazar. A la place dans le film, on a une course d’autruche, tout simplement parce que regarder un gus courir sur les murs pour actionner des leviers n’est guère passionnant, c’est Bruckheimer qui le dit. Après, l’intérêt d’une course d’autruches, ça se discute, mais le problème est qu’une grammaire faite pour être jouée ne passera jamais dans un film. Tout simplement parce que lorsqu’on incarne un loup qui tabasse des guitaristes masqués, qui dessine des nénuphars et qui nourrit des sangliers, regarder la même chose serait juste horriblement chiant à la longue. Pourtant Okami est un excellent jeu avec un bon scénario.

 

Se pose aussi le problème de l’inventaire. Si tout l’équipement que trimballe votre bonhomme ne vous dérange pas dans un jeu, est-ce que vous accepteriez qu’un personnage de film trimballe une armurerie, un générateur, tout un tas de munitions, un carnet de notes, divers items et tutti quanti le tout sans dépasser des poches ? Question de crédibilité. De même pour les blessures encaissées. Dans Bloodrayne osef bikoz ich bin vampire, Dans PoP l’agilité le rend intouchable, mais dans un truc comme Resident Evil, ils ont été obligés de rendre l’héroïne agile et réactive, parce que soigner une blessure par balle en mettant des paquets de pansements dessus c’est juste complètement idiot. Et je parle même pas de soigner ses blessures avec des spray qu'on fabrique avec des plante en pots qui traînaient des des tonneaux.

 

Enfin, quelques uns des films tirés de jeux ne sont pas mauvais en soi. Les Resident Evil sont à peu près au niveau habituel du film de zombie des années quatre-vingt dix début deux mille. C’est du nanard de zombie, quoi. Max Payne est une daube léchée comme le fut Timecop en son temps, ou plus récemment Equilibrium. Bloodrayne est un film d’action aux péripéties aussi cousues de fil blanc qu’un Xena la Guerrière ou un épisode d’Hercule, oui mais voilà. C’est au même niveau. Un synopsis cousu de fil blanc et des personnages en carton pâte peuvent faire un bon, voire un excellent jeu, cf Blade of Darkness, Advent Rising ou même tiens, Homeworld ou Devil May Cry (pour ce dernier je ne parle que du scénario). Tant qu’on se prend au jeu, ça passe, en témoigne Shadowgrounds: Un scénario qui tient sur un ongle de doigt de pied, un perso pâle copie de l’ami Gordon, et pourtant, quel pied et quelle patate. Quitte à citer des monuments, vous allez pas me dire que les scénarios de Diablo ou Dawn of War sont particulièrement recherchés. Un film avec ce scénario n’aurait pas valu grand-chose en dehors de ses scènes d’action et de son aspect musico-visuel (à part peut-être le premier God of War en insistant sur la thématique du fantôme de Sparte).

 

En fait je crois que c’est une bêtise de vouloir adapter l’histoire d’un jeu, parce qu’elle obéit à des modes de progression trop différents de ceux d’un film ou d’un livre. Ce n’est pas forcément incompatible, mais ça n’obéit pas aux mêmes règles. Même un Starlancer qui construit ses relations entre personnages comme un genre de soap intersidéral se transposerait mal, parce que la routine parlotte/dogfight/parlotte/dogfight ne passe pas dans un film. Alors pourquoi personne ne voudrait tirer de film de jeux sans vraiment de personnages, ou de choses qui ne sont pas dans le jeu ? Je ne sais pas, la jeunesse de Kain, la vie des gens dans le vaisseau-mère pendant le retour à Hiigara, des spin-off de l’univers de Diablo, Mass Effect ou Dragon Age ? Ou raconter la suite d’Anachronox, ou dans l’univers d’un random MMO ?

 

Sauf que là on sort de l’adaptation pure et on rentre dans le cross-media. En jeu vidéo, c’est ce qu’avais inauguré Matrix avec les jeux qui racontaient d’autres choses que les films, chemin suivi par Dofus (même si le manga Dofus et les jeux Matrix sont tous pourris, hein, c'est pas la question), l’univers des Chroniques de Riddick (chaque jeu et film racontant quelque chose de différent), Star Wars (entre les films, les romans, les BD, les jeux vidéo, les JDR), etc. Ce serait peut-être ça qu’il faudrait faire. La preuve en est avec les trois courts-métrages d’Ubi qui servent de préquelle à Assassin’s Creed II. Ne pas vouloir à toute force adapter mais apporter sa baleine à un univers, le compléter, utiliser la grammaire propre au medium que l’on utilise sans chercher à vouloir à toute force transposer. Prochain crash test, un film de Wow. On va bien voir ce que ça donne.

 

 

 

 

 

*quoi je suis sexiste ? Vous voulez un exposé de la structure narrative des les histoires indo-européennes ? C’est bien ce que je pensais. Bouquinez du René Girard, par contre, ça vous fera du bien. Non je ne viens pas de le découvrir, je l’ai lu il y a plus de quatre ans.

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